Le Laboureur et ses Enfants
Travaillez, prenez de la peine :
C'est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'Oût.
Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà , delà , partout ; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.
D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.
Jean de la Fontaine (1621-1695) ; Fables
La guenon, le singe et la noix
Une jeune guenon cueillit
Une noix dans sa coque verte ;
Elle y porte la dent, fait la grimace... ah ! Certe,
Dit-elle, ma mère mentit
Quand elle m'assura que les noix étaient bonnes.
Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes
Qui trompent la jeunesse ! Au diable soit le fruit !
Elle jette la noix. Un singe la ramasse,
Vite entre deux cailloux la casse,
L'épluche, la mange, et lui dit :
Votre mère eut raison, ma mie :
Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir.
Souvenez-vous que, dans la vie,
Sans un peu de travail on n'a point de plaisir.
Auteur:Jean-Pierre Claris de FLORIAN
Melancholia
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs, que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : "Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes !"
O servitude infâme imposée à l'enfant !
Rachitisme! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, oeuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les coeurs la pensée,
Et qui ferait - c'est là son fruit le plus crétin !-
D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil.
Victor Hugo (1802-1885), Les Contemplations
1940
Mon jeune fils m'a dit : Dois-je apprendre les mathématiques ?
J'ai pensé répondre : A quoi bon ! Deux morceaux de pain
Sont plus qu'un seul, tu t'en apercevras sans étude.
Mon jeune fils m'a dit : Dois-je apprendre le français?
J'ai pensé répondre : A quoi bon ! Ce pays, la France,
Est près de succomber. Tu n'as qu'à frotter ton ventre
Avec ta main et puis gémir, on te comprendra.
Mon jeune fils m'a dit : L'histoire, dois-je l'apprendre ?
J'ai pensé répondre : A quoi bon! Apprends à rentrer
Ta tête sous terre et peut-être survivras-tu.
Oui, apprends les mathématiques, ai-je
Dit, apprends le français, apprends l'histoire !
Bertolt Brecht
Mais vous qui connaîtrez l’autre travail, plus tard,
Alors qu’il sera devenu comme une fête,
Quand il sera ce qu’est le poème au poète,
Pour chacun sa passion, sa victoire, son art,
Pensez alors à nous avec un peu d’égard.
C’est vrai que d’avoir tant trimé comme des bêtes
A des travaux qu’on exécute et qu’on répète,
La tristesse a bien pu marquer notre regard.
Ah ! comprenez que nous avons aimé la vie
Et malgré ça, cet enfer-là , pas eu l’envie
D’abandonner l’espoir et de pleurer sur nous.
Oui, nous avons aimé terriblement la joie,
La moindre et grande joie, au moins autant que vous,
Et la plus grande était de vous ouvrir la voie.
Eugène Guillevic (1907-1997)